L’étrangère

L’étrangère

(on pourrait aussi appeler cet article “vos CDD sont plus longs que mes CDI”)

Alors voilà, quand on est arrivés il faisait froid et beau et c’est mon temps préféré. On est allés à Ikea et on a acheté tous nos meubles pour notre nouvelle vie. Ca a pris quelques mois pour qu’on ne se dise plus que c’était bizarre d’habiter ici. Encore un peu plus pour vaincre la peur qu’on nous pose une question dans le bus ou au supermarché et qu’on ne soit pas capable de répondre, et qu’on perce notre secret : on est des immigrés.

J’ai lu que beaucoup de gens se disent Expatriés. Ça doit être plus noble d’être Expatrié, ça doit vouloir dire qu’on vient d’un pays riche et qu’on est contents de découvrir ce beau pays, quel qu’il soit. Peut-être même qu’on le quittera bientôt, on ne fait que passer un an ou deux, on est Expatriés. Nous on est immigrés.

On ne se rend pas bien compte quand on est dans son pays et qu’on maîtrise la langue, les codes de politesse et l’humour, ce que c’est d’être ailleurs. Il faudrait que les gens, partout, comprennent que c’est pas toujours facile de ne pas maîtriser parfaitement la langue. Que certains chez vous se moquent de la grammaire ou de la prononciation de ceux qui parlent 2, 3 voire 4 langues alors qu’eux-même baragouinent à peine l’anglais. Que c’est bizarre, vraiment, de reprocher à certains d’agiter un autre drapeau et de nous demander à nous si on supporte bien notre pays pour la coupe du monde.

On a appris la langue et on essaie de parler, sûrement avec un vocabulaire un peu simple, sûrement avec des fautes à une phrase sur deux, et ça demande beaucoup d’énergie d’essayer toujours au lieu d’utiliser l’anglais. Ça demande beaucoup d’humilité de mal se faire comprendre, encore, et beaucoup de persévérance de parler du temps qu’il fait dehors, encore, parce qu’on n’a pas tous les mots qu’il faut pour raconter son week-end.

Le mois dernier, on a frappé à la porte. Pour rigoler, j’ai dit “tu crois que c’est Halloween?”. Monsieur a ouvert, il a vu une dame et deux enfants alors, grand sourire, il a dit “on a rien!” parce qu’ils venaient tôt et on avait pas de bonbons, et puis ils sont partis. Ils n’étaient pas déguisés ; ils étaient là pour récolter des sous pour une sorte de Téléthon annuel (et nous on a eu l’air cons).

Petit à petit nos comportements changent. On est toujours français et toujours j’aimerai le bleu des Causses et le confit de canard (c’est mon allégation à la patrie) mais voyez-vous ça fait bien longtemps que nous aussi on va au supermarché en legging après avoir couru un peu. Et puis maintenant j’ai un sweatpants, c’est un pantalon en coton pilou-pilou (ou mout-mout, si vous préférez) gris et bon, c’est déjà une affaire très sérieuse d’avoir acheté ça, mais en plus je suis sortie au supermarché avec et c’est confortable, vraiment, de se promener en pilou-pilou. Et vous savez même, j’ai mangé des frites avec du fromage dessus (une sorte de parmesan), ça doit vous hérisser le poil de savoir ça. Et bah c’était bon. Et la glace avec nappage chocolat et cacahuètes, vraiment, ca le fait – par contre, j’ai pas encore basculé du côté de la pizza poulet-cacahuètes à 17h.

Mais pour l’instant, même avec nos leggins et nos sweatpants en pilou-pilou, on reste des étrangers. Parce qu’on l’est.

Vous savez ici j’écrivais que le 1er secteur industriel (le pétrole) en Norvège était en crise, le baril était passé de 105 à 85$, et des entreprises licenciaient. Le baril est maintenant à environ 60$ et mon entreprise m’a proposé un départ à l’amiable.

Soit dit en passant, vous venez d’apprendre que je travaille dans l’industrie pétrolière et là tout de suite vous pensez à ça :

(crédits)

Bon en vrai c’est plus complexe que ça, mais pour simplifier : je travaille du côté des gentils. Et je prends le bus.

J’en reviens au propos principal : j’ai beau avoir un gros diplôme, un autre diplôme un peu plus gros et de l’expérience qui collent à mon travail, j’ai beau travailler en CDI dans l’industrie principale d’un pays à 3.5% de chômage seulement, j’ai beau parler plutôt bien norvégien pour quelqu’un résidant dans le pays depuis moins de 2 ans, et j’ai beau être tout à fait compétente, j’ai plus mon boulot.

Il y avait beaucoup de choses que je pouvais faire, vraiment, à mon boulot, mais il y a une chose que je ne fais pas encore très bien : écrire des rapports en norvégien. Et ici, quand les projets en norvégien tombent du ciel, on ne cherche pas toujours à se battre pour des projets internationaux.

Voilà, c’est ça être étranger. Et en France, comment ça se passe pour eux ?
Et vous, comment vous vous débrouilleriez ?

 

ps: oui il y a le chômage en Norvège
pps: faut pas trop s’en faire pour moi (pour l’instant), j’ai quelques cartes en main
ppps: cela dit, si vous êtes lecteur à Bergen et que vous cherchez quelqu’un de compétent, contactez-moi!

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10 thoughts on “L’étrangère

  1. Mince désolée de lire que tu as perdu ton travail :( Un copain qui travaille aussi dans l’industrie pétrolière (mais en Ouganda, donc bien à l’opposé niveau climat) vient lui aussi de perdre son job. Pas facile en ce moment. Je te souhaite bon courage et bonne continuation.
    Sinon par rapport à ton sentiment sur le statut d’immigré, j’espère que des gens qui votent très à droite vont le lire et que ça va les faire un peu réfléchir, merci de donner cette vision de la chose, parce-que franchement, y en a marre d’entendre des discours nauséabonds !

    1. Merci! :)

      Pour les gens qui votent très à droite, je doute que ce que je raconte change grand chose puisque je suis une traitre à la nation ayant profité du système et partie travailler ailleurs sans rembourser mes études via mes impôts ;)

  2. désolée pour ton emploi, je te souhaite d’en trouver un encore mieux (tant qu’à faire!) rapidement!
    je n’ai pas immigré en Norvège mais au Canada et je me suis reconnue dans une bonne partie de ton article. On ne se rend pas compte de tout ça avant de quitter son pays, je pense. Ce que ça fait d’être étranger, de ne pas connaître les codes de politesse, les références, etc etc… Ça fait 6 ans que je suis au Canada donc ça va nettement mieux de ce côté, mais il y a toujours des trucs qui me font me sentir étrangère, Française. Et inversement, quand je rentre en France, des codes auxquels je ne suis plus habituée qui me choquent… Le cul entre deux chaises, quoi.

    1. Merci!
      Ah oui, il faudrait parler des codes de politesse superflus en France (et je parle même pas des crétins qui ne veulent pas d’une femme en robe à fleurs ou en jean à l’assemblée) : a-t-on vraiment besoin de se faire la bise tous les matins ? ;)

  3. Je me retrouvais beaucoup dans toute la première partie de ton article, et puis j’aimais bien le titre, vraiment, et puis tu mettais des mots sur un sentiment / des trucs que j’ai du mal à exprimer, mais alors je ne m’attendais pas du tout à cette chute là. Bon courage. Vraiment.

    1. Merci.
      En fait ce sont des considérations que je faisais depuis des mois déjà et lors de la première version de ce billet je m’étais demandée “et alors, qu’est-ce que ca change?”. à l’époque la réponse était Pas grand chose, mais je pense maintenant que j’ai trouvé ce que ca change.

  4. Encore un joli article avec plein de l’ouverture d’esprit dedans. Je te souhaite bonne chance pour la suite, je suis sure que ça va le faire, parole de quéton !
    Et bonne année 2015 en passant :)

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