J’en profite qu’une nouvelle étude soit sortie à propos du bien-être au travail notamment dans les pays scandinaves, pour décrire comment ça se passe ici. Et comme l’article est long, je vais faire un truc que j’aime pas : je vais mettre des parties en gras pour que vous puissiez vous raccrocher.
Je vous invite à prendre cet article avec les pincettes nécessaires lorsqu’on lit un témoignage, c’est à dire que je serai largement positive pour les raisons suivantes :
- ici j’essaie d’avoir la positive attitude
- comme tout le monde, je préfère pouvoir me la péter (et donc dire que c’est trop bien)
- mon pôpa et ma môman lisent ce blog, donc il faut qu’ils croient que tout va bien pour leur fifille
- il y a des personnes francophones dans ma boîte et donc de fortes chances pour qu’un jour, un collègue tombe ici (en fait c’est déjà arrivé, je l’ai vu dans mes stats)
- je suis cadre et j’estime que je travaille dans un environnement privilégié. Ceux qui travaillent sur des chantiers, dans des jardins d’enfants ou des hôtels ne diront certainement pas la même chose que moi.
- je suis globalement contente
Le contexte
Avant de détailler nos conditions de travail, il faut faire un préambule sur le pays. La Norvège ne fait partie ni de l’UE ni de la zone euro, mais est un partenaire privilégié puisqu’elle fait partie de l’Espace Economique Européen et applique un bon nombre des règles de l’UE afin de faciliter le commerce et les échanges. En union avec le Danemark, puis la Suède, le royaume n’est devenue indépendant qu’en 1905. Jusque dans les années 60 le pays était relativement pauvre, et la découverte de pétrole a changé la donne dans les années 70.
Contrairement à nombre d’oligarchies, les revenus générés par l’exploitation pétrolière sont gérés par le gouvernement qui épargne pour faire face au déclin. Ainsi l’an dernier, chaque habitant est virtuellement devenu millionnaire (en couronne norvégiennes, soit environ 120000€ modulo les taux de change). Les produits importés sont fortement taxés, ce qui a permis d’élever le niveau de vie global de la société.
Si le système de santé, de retraite et de chômage (3.5 à 4% de chomeurs) est souvent mis en avant, le système change doucement et l’on peut entendre les norvégiens s’inquiéter de ce que sera réellement leur retraite. Par ailleurs, les experts estiment avoir passé cette année le pic de production de pétrole et Statoil, l’entreprise d’état d’exploitation pétrolière, a annoncé son intention de réduire les coûts de production ainsi que les investissements, le tout dans un contexte de forte baisse du prix du baril de pétrole (d’environ 105$ avant l’été à 85$). Dans ce sillage, nombre d’entreprises du secteur pétrolier ont déjà annoncé (et effectué) des licenciements. Bref, si le pays a connu des conditions idéales jusqu’ici, il entre à présent dans une zone de turbulences.
Le temps de travail et la flexibilité
Le temps de travail est généralement de 37.5 heures repas non inclus, soit 40 heures repas inclus – et oui, les gens mangent vraiment en 30 minutes (entre 11h10 et 11h40 même).
Les congés payés sont au minimum de 4 semaines mais la plupart des entreprises proposent 5 semaines. Certaines offrent même 6 semaines. Évidemment, on cotise pour avoir ces congés payés, alors ce n’est pas un cadeau à proprement parler.
Nous n’avons pas de RTT, mais un compte d’heures flexibles. Lorsqu’on travaille un peu plus dans la semaine, on peut cumuler des heures. On peut ensuite, selon la politique de l’entreprise, choisir entre être payé, ou prendre des vacances.
Le volume horaire
Une très grosse différence avec la France, pour les cadres, c’est le respect des heures de travail. En France, le jeu est à celui qui partira le plus tard pour montrer qu’il travaille dur (tant pis s’il est arrivé à 10h, a joué au tarot et a trainé sur les internet), au point qu’on se sent coupable de partir à 18h, à la limite de se justifier – “ah ce soir, je fais les courses”.
Eh bien en Norvège, on rapporte toutes les heures travaillées. J’en ai beaucoup parlé avec des copains et certains me disent que c’est normal qu’un cadre fasse des heures non-déclarées, ce qui pour moi revient à dire que c’est normal de mentir et de cacher les vraies ressources nécessaires à un projet.
Qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit : moi aussi il m’arrive de m’attarder et de discuter un peu plus dans un couloir – dans ce cas, si c’est pour des raisons personnelles n’ayant aucun lien avec le boulot, je ne compte pas la demi-heure.
Les horaires de travail
Quant aux horaires de travail : les couloirs sont souvent vides à 16h. Plusieurs raisons à cela : si l’on travaille 8h par jour (repas inclus), en arrivant tôt on repart tôt. Alors qu’en France j’arrivais à 9h (avant cela j’avais l’impression de tomber du lit), je suis maintenant fraiche et dispo entre 7h30 et 8h le matin. Ce n’est pas une généralité – souvent dans un couple en Norvège, les horaires sont dictés par les jardins d’enfant : un parent dépose les enfants pour 7h30-8h, l’autre passe les récupérer vers 15h-16h. En contrepartie, les gens sont plus flexibles et n’hésitent pas à faire quelques heures le soir ou le week-end depuis la maison pour avancer leurs projets.
Pour l’anecdote, lors de notre premier jour de travail nous avons chacun quitté le boulot vers 17h15 (on n’osait pas partir trop tôt). Et bien l’un comme l’autre on avait du attendre le bus looooonngtemps, parce qu’après 17h, la cadence des bus n’est plus celle des heures de pointe!
Autre contrepartie : les entreprises voudraient bien vous apprendre des trucs, vous tenir au courant des projets, etc… mais ça demande de bloquer un budget pour cela et ca commence à peser. Qu’à cela ne tienne : une ou deux fois par semaine les employés peuvent manger tous ensemble (repas fourni ou non selon les boites) et assister à une présentation ou une réunion. Ça s’appelle All hands, Lunch and Learn, Show and Tell, Fourchette et stylo, Mange et Parle, On Se Lève Tous Pour Danette...
La technologie
Revenons-en à la Flexibilité : au boulot on a tendance à être ultra-connecté. Tout y passe (modulo les entreprises : la mienne est plus sage que celle de mon bonhomme) : emails, emails sur le téléphone (fourni par la boîte), Linkedin, Yammer, intranet, IP-chat, Skype, Jabber…
Même si c’est un peu stressant au début (mince, un mail à 22h! est-ce que je dois y répondre?), la technologie a ses avantages : pour discuter avec ses collègues d’autres bureaux il y a un très très très bon système de vidéo-conférence avec multiples écrans, pleins de petites ou grandes salles au bureau, des salles virtuelles pour faire des réunions à plusieurs bureaux, etc… Autant de choses qui font économiser du temps et de l’argent (plus besoin de prendre l’avion pour discuter!). Par ailleurs, le système est tellement bon et les écrans tellement grands que l’on a l’impression d’avoir rencontré ses collègues en vrai, alors qu’on ne leur a jamais serré la paluche.
Cette technologie a d’autres avantages : on peut facilement travailler à distance. Beaucoup de collègues travaillent ponctuellement de chez-eux parce que leur enfant est malade, parce que le jardin d’enfant est fermé pour réunion, etc… Il y a quelques temps, nous sommes partis deux semaines en France : une semaine de congé, une semaine de travail à distance (et oui, on a travaillé pour de vrai).
Scandaleux, vous trouvez ? L’idée nous est venue après qu’un collègue ait passé une semaine sur son bateau à travailler à distance.
Une hiérarchie plus accessible
Avant d’arriver, j’avais beaucoup entendu parler d’une hiérarchie simplifiée, et dans mon esprit c’était un peu ça (ma nouvelle passion : mettre des gifs) :
Bon, dans la vraie vie, ça se passe pas tout à fait comme ça et dans ma première boite j’étais à peu près au rang 11. Comptez combien de supérieurs vous avez et ce chiffre vous parlera plus (réponse: ça fait un max).
Ce qu’il faut entendre, c’est que nos supérieurs sont plus cools et on les perçoit d’avantage comme des collègues avec plus de responsabilités que comme les Terrrribles n+1 et n+2.
Un corollaire est que les gens ne font pas la gueule. Si un jour vous avez la joie de prendre un avion en France tôt le matin ou vers 18h le soir, le genre d’avion rempli de cols blancs (et le genre d’avion où il n’y a que 7 femmes en tout et pour tout), vous remarquerez qu’un max de monde fait la gueule. En France, avoir des responsabilités = être sérieux = faire la gueule. Et bien ce n’est pas le cas dans le monde entier!
Les enfants
Alors là, absolument Tout est complètement différent. Tout tout tout tout tout.
Pour résumer en France : lorsque vous êtes une femme de plus de 25 ans, vous serez considérée comme Potentiellement bientôt enceinte, et ça en occasionne des vertes et des pas mures. Je ne disserterai pas sur les joies d’être une femme en Norvège, qui ont déjà été décrites ici (et reprises en partie là en français).
Il faut savoir qu’en Norvège, le congé parental est d’environ 1 an. Il peut être réparti entre les deux parents, mais le père est obligé d’en prendre (ou d’abandonner) une certaine durée (10 à 14 semaines, je n’ai pas suivi les évolutions de la loi). Pour résumer : un homme en Norvège aura autant de congés qu’une femme en France. La répartition des charges est telle que la femme n’est pas perçue comme celle qui s’absentera longtemps.
De fait, il est parfaitement normal pour une entreprise d’embaucher un homme ou une femme qui partira bientôt en perm’ (là il faudrait que je trouve une stat’ pour comparer, mais je me dis que le fait d’avoir entendu de tels cas alors qu’on connait moins de monde qu’en France, c’est déjà une bonne stat’).
Mais le plus surprenant, c’est la façon dont les gens gèrent enfants et travail ensuite.
Pour garder le contact avec l’entreprise pendant leur congé parental, les employés passent de temps en temps au travail avec leur nouveau-né. Ils viennent quand on fête la fin d’un projet, un mariage, un départ, ou bien lors d’une réunion d’information. Et c’est ainsi que j’ai pu assister à des réunions super-WTF : la personne tenant la réunion était entourée de deux parents avec leurs bambins. Petit à petit, il y a un bébé qui a essayé de lui grimper dessus pendant que l’autre passait sous la table pour venir faire coucou. Elle a fini la réunion en tenant le bébé d’une collègue entre les bras. Normal.
Parfois les jardins d’enfants ferment une journée pour faire le bilan et le planning pour la suite. Dans ce cas là, les parents ont le choix entre travailler depuis la maison, ou emmener les enfants au travail. Pas de problème, tout est prévu : à 5 mètres de mon bureau il y a une table, des tabourets, et une caisse de jouets. C’est ainsi que j’ai déjà vu 80% des enfants des collègues en moins d’un an.
La koselig-attitude
Chose très importante en Norvège, et d’autant plus importante qu’il fait nuit, c’est que l’environnement de vie soit Koselig (dites cousseuli). Chez vous, ça consistera essentiellement à mettre des bougies partout, laisser des plaids à disposition et avoir pleins de petits gâteaux qui sentent la cannelle.
On prend très vite goût à la koselig-attitude, et il m’arrive de temps en temps d’aller faire les magasins en ville pour trouver quelque chose de koselig. Eh bien au travail, c’est pareil : ce doit être koselig.
Alors, qu’est-ce que c’est d’être koselig au travail ?
C’est pleins de petites choses : tout d’abord, le café est gratuit. Heureusement, sinon la société norvégienne s’arrêterait de tourner (cf consommation de café par habitant). Vous n’aimez pas le café des machines à café classiques ? Pas de problème, il y a aussi une machine Nespresso! Vous n’aimez pas le café ? Il y a du thé et du chocolat !
Et, vous savez, moi j’aime bien le thé mais mon petit corps n’aime pas que j’en boive trop (ça ressemble à une pub pour un yaourt au bifidus, mais c’en est pas une). Alors je bois du Rooibos (sans théine). Un jour j’ai expliqué ça à la chef du bureau qui me demandait ce que je buvais. Et bien 3 jours plus tard, il y avait des infusions et du rooibos dans les placards (après ça, vous comprendrez que je sois plutôt contente).
La koselig-attitude passe aussi par de supers beaux canapés et fauteuils dans l’espace de vie commun, des bureaux dont la hauteur est réglable par une petite télécommande pour pouvoir travailler debout (c’est bon pour le dos, sisi), et surtout… des gâteaux !
Tous les jours nous avons des fruits à notre disposition (livrés deux fois par semaine), c’est koselig et plus sain que des barres chocolatées. Parfois nous avons des bonbons ou des chocolats restant d’une réunion. Tous les vendredis il y a des cookies ou des bonbons. Et très très très souvent (genre dès qu’une occasion se présente, en fait), il y a de supers gâteaux. Le budget gâteaux de ma boîte doit être phénoménal.
Quelques mais…
Maintenant que j’ai montré beaucoup de bons côtés, je tiens à rappeler que les revenus générés par l’industrie pétrolière amorçant leur déclin (et occasionnant par là même des licenciements), les conditions de travail générales vont sans doute évoluer.
Postuler à des emplois lorsqu’on est étranger n’est pas facile car, même si le job est réalisable en anglais, les norvégiens aiment parler norvégien et la maîtrise de la langue est un sérieux atout (pour vos concurrents)(bref, c’est surement pareil en France). Et l’on peut supposer que ce facteur est également pris en compte lors d’une vague de licenciements.
Par ailleurs les entreprises norvégiennes ne sont pas forcément un havre de paix, quand bien même aient-elles rempli les conditions de koselig-attitude. Si nous avons entendu parler de mésaventures de certains, je peux personnellement dire que certains employeurs s’assoient sur la loi si ça les arrange.
Enfin, les conditions que j’ai décrites ici sont celles dont nous faisons l’expérience. Pour avoir travaillé dans une antenne à faible effectif (< 5 personnes), je peux vous assurer que les avantages présentés ici ne sont pas toujours réunis.
(crédits photo: wikipedia)
La partie qui me fait rêver (et me concerne le plus), c’est sur la flexibilité avec les enfants lorsque la crèche est fermée, l’enfant malade, etc. Si c’était possible en France, ça épargnerait beauuuuucoup de stress à beauuuuucoup de monde !
C’est vrai que c’est très pratique quand c’est possible, ca rend tout le monde content et, ponctuellement, je ne pense pas que ca empêche d’avancer les projets!
Article super intéressant. Bonne continuation!
C’est très intéressant ! La France est vraiment en retard. En Australie aussi 16h30 est l’heure de pointe dans les transports, et il n’est pas mal vu de partir tôt, comme au Royaume-Uni ça veut dire que tu as su prioritiser (pardon pour l’anglicisme) tes tâches… Mais je découvre ton blog, ça se passe comment au niveau de la langue ? Tu travailles en norvégien ou en anglais ?
Merci
En effet la France a du retard sur quelques points mais il faudrait une évolution de la mentalité/société pour que ca marche bien, sans doute.
Pour le boulot, je fais les deux : je n’écris des rapports qu’en anglais, mais je communique (mails qd c’est ni trop long ni trop technique, oral…) en norvégien. En gros je comprends plus que je ne sais m’exprimer mais je fais toujours des efforts. On avait commencé à prendre qqs cours avant d’arriver, et on a pris 1 an (3h30 x 2 par semaine) de cours.
Cool ! Merci pour cet article détaillé (et le gif ! je vote pour !)
Une petite question, pourquoi c’est plus facile de se lever tôt en Norvège qu’en France ? Juste une question d’habitude ?
Vive le cousseuli, ça devrait être obligatoire !
Alors en été (c’est à dire entre fin-mars et début-septembre) c’est facile parce qu’il fait jour tôt, et ca ca donne trop la pêche!.. mais cette explication tient pas vraiment pour l’hiver (le reste de l’année. On est plutôt binaire question saison).
Donc, en dehors du fait qu’on ait un peu changé nos habitudes, je crois que c’est parce qu’en arrivant à 8h30 au boulot en France c’est le désert (en tout cas là où j’étais), tandis qu’en arrivant à 7h30 ici je peux dire bonjour aux premiers collègues (ceux qui font leur petit-déj céréales-yaourt à la fraise). Bref, on s’intègre dans la société.